Les traditions Soufies et la signification du Prophète
Les musulmans sénégalais, à travers leurs quatre confréries soufies,
s'inscrivent dans une longue tradition mystique qui accorde une place
particulière au Prophète de l'Islam. Ils affirment avec force l'existence d'une
Réalité Muhammadienne (ḥaqqīqa muḥammadiyya) qui transcende le Muhammad
historique, faisant du Prophète l'intercesseur ultime sur le chemin du Salut.
Ainsi, la célébration de la naissance du Prophète, appelée Maouloud ou Gamou au
Sénégal, revêt une triple importance pour les musulmans sénégalais. Le Maouloud
est d'abord un culte, puis une culture, et enfin un marqueur d'enracinement
spirituel.
Le Maouloud au Sénégal: Un Culte
Il s'agit avant tout d'un culte voué au Prophète, qui se manifeste à
travers des événements dans tout le pays pendant les dix premières nuits
précédant la nuit du Maouloud. Les amoureux du Prophète se réunissent chaque
soir pour réciter un chapitre de la Burda de Muhammad al-Buṣīrī, suivi de
discussions sur la vie du Prophète pour clôturer les soirées.
Cette tradition fut instaurée par Elhadji Malick Sy (m. 1922), maître et
propagateur de la Tijāniyya dans le Sénégal du XXe siècle. Grâce à ses efforts,
des zawiyas tijanes où le Prophète est célébré quotidiennement sont répandues
dans tout le pays.
Ce culte, durant les nuits du mois de Rabī' al-'awwal, offre une occasion
unique aux populations locales d'être initiées à l'amour du Prophète, ce qui
constitue l'un des objectifs de la célébration du Maouloud (Gamou).
Une Culture
Le Maouloud est également un marqueur culturel au Sénégal, favorisant des rassemblements annuels dans des villes spécifiques, emplis de festivités. L'école d'Elhadji Malick Sy de la Tijāniyya en est un exemple. L'importance accordée à la célébration du Maouloud y a associé le nom de Tivaouane, ville d'Elhadji Malick Sy, à la célébration du Gamou. Au Sénégal, dire "Je vais au Gamou ou au Maouloud" est synonyme de "Je vais à Tivaouane". Les pères y emmènent leurs épouses et leurs enfants dans une aventure visant à approfondir leur amour pour le Prophète. Cela fait du Maouloud une question de spiritualité également.
Une Spiritualité
"Célébrer le Maouloud, pour
maintenir la Sunna vivante, nous guide vers le Paradis", écrivait Cheikh
Ahmadou Bamba Mbacké, fondateur de la confrérie mouride. De même, Elhadji
Malick Sy accordait une grande importance au Maouloud. Selon Elhadji Ravane
Mbaye, Elhadji Malick Sy fut parmi les premiers à introduire le Maouloud au
Sénégal. À cette occasion, ses disciples répondent à son appel :
"Pour la quête des grâces divines, célébrez la nuit du Maouloud
Seulement si cette célébration ne vous pousse pas vers l'interdit."
Pendant le Maouloud, les fidèles prient abondamment pour le Messager, le
glorifient la plupart du temps en chantant des poèmes d'amour que le maître
avait composés en l'honneur du Prophète, en étudiant sa vie, sa réalité
métaphysique, et surtout... en encourageant les disciples à s'abreuver à
l'océan de l'amour prophétique.
Que s'est-il réellement passé la nuit de la naissance du Prophète pour
rendre le Maouloud digne de célébration ? De nombreuses légendes sont relatées
dans les hagiographies du Prophète. Elhadji Malick Sy en parle :
"Des êtres invisibles, l'annonce de la Bonne nouvelle de naissance
résonnait partout. À sa naissance, les idoles s'effondrèrent et les Météores se
déclenchèrent, Lançant des projectiles sur les Djinns. Les colonnes des palais
des rois furent ébranlées ainsi que Les Fondations de la Kaaba, pendant trois
jours sans interruption. Elle s'inclina sur ses angles jusqu'à se prosterner
Pour honorer celui qui mérite égard et respect. À sa naissance, le mortier se
brisa Cette destruction fut mystérieuse pour tout son peuple. Les balcons du
Sanctuaire s'effondrèrent, la Grande Salle de Chosroès fut détruite, L'eau se
tarit et le feu s'éteignit."
Indépendamment de la véracité historique de toutes ces déclarations, ce qui
nous intéresse ici est de comprendre pourquoi le Maouloud revêtait une telle
importance aux yeux des figures islamiques du Sénégal, dont Elhadji Malick Sy,
qui affirmait que se lever lorsqu'on évoque la naissance du Prophète est un
acte louable. Il composa :
"Se lever pendant la commémoration, dès qu'on parle de la Naissance
Est une innovation appréciable qu'il ne faut pas manquer."
Dans un autre texte, il souligne que la célébration du Maouloud est une
cause d'acquisition de bienfaits divins, une médiation pour la réalisation des
vœux :
"Son Maouloud est source de noblesse et de bienfaits divins C'est en
le célébrant que les vœux se réalisent."
"C'est en le célébrant que les vœux se réalisent," dit-il. Les
vœux sont aussi spirituels. De ce point de vue, ceux qui répondent à son appel,
et à celui d'autres guides religieux, pour la célébration du Maouloud
s'inscrivent dans cette longue tradition de cheminement spirituel.