Frédéric Samson SOHOUNDE,
JOURNALISTE ET FORMATEUR A L’UNIVERSITE
L’entrepreneuriat en Afrique de l’Ouest, et particulièrement au Sénégal, connaît une dynamique croissante avec l’essor des jeunes entreprises et des initiatives d’innovation. Cependant, plusieurs défis persistent, entravant souvent leur développement et leur pérennité. Ces défis, qui vont de l’accès au financement à l’infrastructure insuffisante, sont particulièrement aigus dans des pays comme le Sénégal, un pôle économique majeur de la sous-région.
Accès au financement
Les entrepreneurs continuent de faire face au défi majeur de l’accès insuffisant au financement en Afrique de l’Ouest. Selon la Banque africaine de développement (BAD), l’indisponibilité de capitaux adéquats figure parmi les problèmes majeurs qui freinent la croissance des entreprises de la région.
Au Sénégal, bien que des initiatives comme le Fonds de Garantie des Investissements Prioritaires (FGIP) aient été mises en place pour faciliter l’accès des PME au crédit, la réalité est que la majorité des jeunes entreprises ont encore du mal à obtenir des prêts bancaires, souvent jugés trop risqués par les institutions financières.
En 2023, une étude de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) révèle que 75 % des PME en Afrique de l’Ouest, dont celles du Sénégal, ne bénéficient pas de financement bancaire traditionnel. Ce phénomène est exacerbé par un manque de culture d’investissement et une appréhension des banques vis-à-vis des secteurs dits « informels » où évoluent de nombreuses start-ups africaines.
Environnement réglementaire et bureaucratique
La complexité des procédures administratives et l’inefficacité des réglementations constituent des défis considérables. Comme de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, le Sénégal souffre de charges administratives qui compliquent la création et la gestion d’une entreprise. Selon le rapport Doing Business de la Banque mondiale, même si le Sénégal a amélioré son classement en matière de facilité de faire des affaires, des obstacles demeurent, notamment lorsqu’il s’agit d’obtenir des permis de construire et d’exporter.
Les entrepreneurs sénégalais doivent composer avec des bureaucraties complexes, ce qui entraîne des retards et des coûts supplémentaires. Par exemple, le processus d’enregistrement d’une nouvelle entreprise peut prendre plusieurs jours, ce qui décourage l’initiative privée.
Manque de compétences et de formation
Le déficit de compétences reste un obstacle majeur pour les entrepreneurs en Afrique de l’Ouest. L’OCDE estime que le grand nombre de jeunes diplômés sénégalais ne possèdent pas les compétences nécessaires pour réussir dans le secteur privé, notamment dans les domaines de la gestion, de l’innovation technologique et du marketing. Un manque de formation technique et managériale se traduit par une entreprise moins compétitive et moins susceptible de croître à un rythme soutenu.
Le gouvernement sénégalais a lancé plusieurs programmes pour combler cette lacune, comme la Formation pour l’Emploi et l’Entrepreneuriat (FEE), mais la demande continue de croître, notamment pour les petites entreprises qui manquent de ressources pour former leurs employés.
Infrastructures et Logistique
L’un des défis les plus structurels auxquels est confronté l’entrepreneuriat en Afrique de l’Ouest est l’insuffisance des infrastructures. Au Sénégal, malgré les progrès réalisés dans des projets tels que le Plan Sénégal d’Urgence (PSE), de nombreuses régions du pays sont toujours confrontées à une mauvaise qualité des routes, à un manque d’électricité stable et à des services de logistique et de transport inadéquats.
Ces défis maintiennent les coûts d’exploitation à un niveau élevé et affectent directement la rentabilité des entreprises. Par exemple, une étude réalisée en 2022 par l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) a révélé que les coûts logistiques représentent près de 20 % des dépenses totales des entreprises dans la région, contre 10 % en moyenne dans les pays développés.
Technologie et Digitalisation
Bien que l’Afrique de l’Ouest ait vu un développement rapide du secteur numérique, avec des initiatives comme Orange Digital Ventures et des hubs d’innovation comme Yoff Digital Park à Dakar, la pénétration d’Internet reste encore faible dans de nombreuses régions. En 2023, l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) du Sénégal a estimé qu’environ 60 % de la population sénégalaise avait un accès régulier à Internet, mais ce taux varie largement entre les zones urbaines et rurales.
Le manque d’infrastructure numérique et de formation dans le domaine technologique constitue un frein à la compétitivité des entreprises locales dans un monde globalisé de plus en plus tourné vers le numérique. Le retard en matière de fintech et de e-commerce au Sénégal est un exemple de cette défiance vis-à-vis de la révolution numérique.
Instabilité politique et économique
Bien que le Sénégal soit considéré comme l’un des pays les plus stables politiquement en Afrique de l’Ouest, l’instabilité politique et économique reste un facteur de risque pour les investisseurs. Les tensions sociales et les grèves fréquentes dans le secteur public peuvent perturber l’activité économique, affectant particulièrement les jeunes entreprises qui dépendent d’un environnement stable pour croître.
La crise sanitaire de la COVID-19 a montré à quel point les entreprises, surtout les petites et moyennes entreprises (PME), peuvent être vulnérables face à des perturbations économiques inattendues. La gestion de la transition énergétique, notamment la mise en place de sources d’énergie renouvelable, est également un défi à venir pour soutenir les projets à long terme.
Accès au marché international
Malgré les efforts du Sénégal pour intégrer des marchés régionaux via la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’accès au marché international reste limité. L’exportation de produits locaux reste faible, bien que le Sénégal ait signé plusieurs accords commerciaux avec des blocs comme l’Union Européenne ou la Chine. Les producteurs sénégalais sont confrontés à des barrières telles que les tarifs douaniers, les exigences sanitaires et la concurrence accrue des produits étrangers.
Les défis auxquels sont confrontés les entrepreneurs en Afrique de l’Ouest, et en particulier au Sénégal, sont nombreux. Le manque d’accès au financement, l’environnement réglementaire complexe, les lacunes en matière de compétences et d’infrastructures, et les enjeux liés à la digitalisation sont des obstacles majeurs qui freinent l’entrepreneuriat.
Cependant, malgré ces difficultés, les entrepreneurs sénégalais continuent de faire preuve de résilience, soutenus par les initiatives gouvernementales et les investissements étrangers. L’avenir de l’entrepreneuriat en Afrique de l’Ouest semble prometteur si des réformes structurelles et une meilleure collaboration entre les secteurs public et privé sont réalisées.