Retrait français d’Afrique : tensions avec Dakar et N’Djamena

Abdoulaye SIDY, Sénégal

Journaliste

 Les propos récents du président français Emmanuel Macron sur le rôle de l’armée française en Afrique et l’« ingratitude » de certains dirigeants africains ont suscité des réactions virulentes de la part de dirigeants sénégalais et tchadiens.

Le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a qualifié les propos de Macron de « totalement erronés », soulignant que les relations entre la France et les pays africains doivent être fondées sur le respect mutuel et la reconnaissance de leur souveraineté.

De son côté, le chef de la diplomatie tchadienne, Abderaman Koulamallah, a dénoncé une « attitude méprisante » de la part du président français, estimant que de tels discours risquent d’aggraver les tensions entre Paris et ses anciens partenaires africains.

Plusieurs pays, notamment le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ont récemment remis en question les accords de coopération militaire avec la France, réclamant un retrait des troupes et une redéfinition de leurs relations bilatérales.

Au Sénégal, la passe d’armes entre Paris-Dakar d’une part et Paris-NDjamena d’autre part, est soumise à l’appréciation de Jean Charles Biagui, enseignant chercheur en sciences politiques à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Selon lui, la démarche visant à légitimer du côté français le retrait des bases militaires traduit cette réalité d’un paternalisme qui est accepté du côté français depuis trop longtemps et qui est de plus en plus contesté du côté africain.

« Les élites françaises s’inscrivent dans ce paternalisme qui aujourd’hui est heureusement contesté par certaines élites actuelles africaines », a-t-il ajouté mardi sur les ondes de Radio Sénégal internationale (Rsi).

En écoutant le président français lundi face à ses ambassadeurs, on ne peut s’empêcher de percevoir une certaine condescendance de sa part. Perception que partage l’analyste politique.

« La politique française vis-à-vis de l’Afrique s’inscrit dans le gaullisme, dans cette idée que la grandeur de la France dépend en grande partie d’une mainmise sur ce qu’eux-mêmes ont appelé de manière d’ailleurs très paternaliste le pré carré. C’est la manifestation la plus concrète de cette volonté de toujours maintenir dans le giron français les anciennes colonies », a soutenu Pr Jean Charles Biagui.

A son avis, cela, encore une fois, montre que les Français ne veulent pas partir. « Ils seront bien obligés de partir malgré eux, mais pour le moment, et ces déclarations-là le montrent suffisamment. D’une volonté des peuples africains et de leurs élites en particulier, la France sent très bien que ce vent qui tourne ne participe pas à assurer la grandeur de la France »,croit savoir le politologue.

De la souscription à une sous-traitance militaire d’anciennes colonies françaises à la révision des accords de défense

Des pays comme le Tchad et le Mali ont fait appel à la France pour sauver les pouvoirs en place. Chose qui a remis en cause l’utilité de ces deux armées au moment où on note un rejet croissant de la présence militaire française en Afrique.

D’après Jean Charles Biagui, « les Etats entre guillemets du pré carré français, c’est-à-dire les anciennes colonies françaises, en particulier ceux qui sont situés en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, pendant très longtemps, se sont inscrits dans le militarisme français, dans la sous-traitance, c’est-à-dire l’idée qu’ils ne pouvaient pas à eux seuls assumer leur sécurité et leur défense. Et pendant malheureusement trop longtemps, on s’est inscrits, que ce soit en Côte d’Ivoire en particulier, mais aussi au Tchad, au Mali et au Sénégal », a-t-il déploré.

Avant de renchérir : « On a voulu s’inscrire dans le militarisme français, externaliser en quelque sorte notre sécurité et confier cette sécurité-là à la France. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle il ne suffit pas simplement d’un départ des troupes françaises, il faut contester les accords de défense, parce que ces accords-là n’ont pas de sens pour un Etat souverain. Plus de 100 ans après les indépendances, on nous parle de coopération française, comme si nos militaires n’ont pas pu pendant toutes ces années, eux-mêmes, se déformer, se former et mettre en place un militarisme autochtone ».

En dehors de l’Afrique, l’influence française dans le monde en question

Qu’en sera-t-il de l’influence de la France dans le monde si elle  perd définitivement pied en Afrique ? Pour l’enseignant chercheur en sciences politiques, l’hégémonie française dans le monde n’est plus ce qu’elle était, et c’est vrai que la volonté de la France de ne pas partir de l’Afrique, en particulier dans le cadre de ses entreprises, et surtout par sa présence militaire, montre cette réalité. « Les élites françaises ont compris depuis très longtemps que sans ce que eux-mêmes ont appelé le pré carré, la France est une puissance secondaire », a relevé Pr Jean Charles Biagui selon qui, outre le volet militaire, le Sénégal et la France entretiennent des relations assez particulières sur le plan économique, sur le plan culturel. « Maintenant, est-ce qu’il y a une volonté du duo Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko pour mettre un terme à ces liens qui, de mon point de vue, sont des liens coloniaux ? Seule l’histoire nous le montrera, mais ce n’est pas aussi simple, parce que malheureusement, il y a tellement d’influences françaises au Sénégal que cela ne se fera pas du jour au lendemain, malgré quelques fois les déclarations d’intention ».

Dans tous les cas, Pr Biagui pense qu’il « faudra s’assumer soi-même, et cela n’est pas toujours simple, parce que, encore une fois, nous avons trop laissé l’influence française grandir, et c’est une influence qui est très importante, qui ne touche pas simplement le domaine militaire, qui touche même le domaine académique et le domaine culturel, à telle enseigne qu’il n’est pas évident, du jour au lendemain, de se défaire de ces liens qui, de mon point de vue, sont des liens coloniaux », a-t-il estimé.

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