Projet Simandou : la Guinée à la croisée des chemins
Rédaction: Gassim Bah,
Spécialiste de l’économie mondiale et des systèmes financiers.
Le projet Simandou cristallise aujourd’hui les espoirs d’un redressement économique durable pour la Guinée. Cette immense richesse minière, dont l’impact potentiel dépasse largement les frontières du secteur extractif, appelle à une réflexion profonde : comment faire en sorte que ce gisement devienne un catalyseur de prospérité inclusive, et non un énième mirage de développement avorté ?
Il est aisé, parfois trop confortable, d’adopter une posture critique depuis l’extérieur. Mais ceux qui aspirent à un changement réel savent que seule l’implication active permet d’influencer le cours des choses. Lorsqu’on aime son pays et que l’on comprend que l’avenir de ses enfants y est enraciné, il devient un devoir moral de contribuer, par des idées concrètes et des solutions réalistes, à son essor.
La Guinée dispose d’un précédent rare : celui de nations qui, à travers une gestion exemplaire de leurs ressources naturelles, ont transformé leur destin. Le Botswana, fort de sa discipline budgétaire et de sa gouvernance rigoureuse autour des diamants ; le Chili, dont l’économie repose sur une exploitation maîtrisée du cuivre ; ou encore la Norvège, qui a bâti l’un des fonds souverains les plus puissants au monde à partir de ses revenus pétroliers. Ces exemples ne sont pas des modèles figés, mais des sources d’inspiration précieuses.
S’inspirer de ces trajectoires suppose de penser et structurer une gouvernance économique adaptée à la Guinée. Il est impératif d’instaurer une stratégie de gestion des revenus qui soit à la fois ambitieuse et prudente. La création d’un Fonds Souverain de Développement, à l’image du modèle norvégien, permettrait de sanctuariser une partie des recettes pour les générations futures, tout en investissant de manière ciblée dans des secteurs porteurs : l’agriculture, l’énergie, les infrastructures, l’éducation et les PME.
Ces investissements doivent répondre à une clé de répartition stratégique : une part dédiée à l’épargne et aux placements internationaux à long terme, une autre affectée aux projets d’infrastructures essentielles — en particulier la production et la distribution d’électricité — et une portion significative orientée vers la souveraineté alimentaire et le soutien direct au tissu économique local. En parallèle, un contrôle fiscal renforcé doit assurer que les revenus déclarés reflètent fidèlement la réalité des opérations, et prévenir toute tentative d’optimisation abusive.
La transparence, quant à elle, doit devenir un pilier central du projet. Une réforme en profondeur du système de passation des marchés est nécessaire, avec la publication systématique des appels d’offres, la réalisation d’audits indépendants réguliers et la formation de cadres spécialisés. L’instauration d’un mécanisme citoyen de suivi contribuerait à restaurer la confiance dans l’action publique.
Pour que le projet Simandou bénéficie pleinement à l’économie nationale, une loi sur le contenu local imposant un quota minimal de biens et services fournis par des entreprises guinéennes s’impose. Cela suppose également de créer un fonds dédié au développement des PME, avec des prêts préférentiels et un accompagnement technique, notamment dans les secteurs agricole et énergétique. Les entreprises minières doivent être tenues de participer activement à la formation professionnelle des jeunes et à leur intégration dans les chaînes de valeur.
Par ailleurs, le développement humain doit occuper une place centrale dans cette dynamique. Une partie des revenus doit financer la construction de centres de formation dans les zones minières, le renforcement des filières scientifiques et techniques, et la mise en place de bourses dans les domaines stratégiques. Des partenariats internationaux solides permettront d’introduire des savoir-faire nouveaux et de favoriser l’innovation.
Enfin, la gouvernance du projet Simandou doit s’ériger en exemple. La mise en place d’un Conseil indépendant de suivi, intégrant toutes les composantes de la société — État, secteur privé, société civile, partenaires internationaux — offrirait un cadre de redevabilité fort. L’adhésion pleine et entière aux principes de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), couplée à une plateforme publique de suivi en temps réel des flux financiers, permettrait à chaque citoyen de suivre concrètement l’usage des ressources.
La Guinée a aujourd’hui l’opportunité rare d’écrire une nouvelle page de son histoire économique. En s’appuyant sur des principes éprouvés de bonne gouvernance, de transparence et d’investissement dans le capital humain, elle peut faire du Simandou bien plus qu’un projet minier : un levier de transformation nationale. À condition de ne pas manquer ce tournant décisif.
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