Le Soudan face à la crise Iran-Israël : d’un conflit interne à un engrenage régional ?

Rédaction : Widad WAHBI

La confrontation militaire entre l’Iran et Israël ne cesse de s’aggraver, faisant redouter un élargissement rapide du conflit au-delà du Moyen-Orient. Parmi les pays les plus exposés aux retombées indirectes de cette escalade figure le Soudan, déjà fragilisé par une guerre civile brutale opposant l’armée régulière aux Forces de soutien rapide. Dans ce contexte, le territoire soudanais pourrait devenir un levier stratégique dans une recomposition régionale où se croisent intérêts militaires, alliances anciennes et rivalités géopolitiques.

Ce scénario ne relève pas de la spéculation abstraite. L’Iran entretient depuis des décennies des liens profonds avec les anciens cercles islamistes du régime soudanais, notamment sous l’ère Omar el-Béchir. La République islamique avait fourni une aide technique, militaire et logistique à Khartoum, incluant drones, formation sécuritaire et technologie de défense. En retour, le Soudan avait servi de couloir stratégique pour l’acheminement d’armes vers Gaza, ce qui avait justifié plusieurs frappes israéliennes sur des cibles militaires soudanaises.

À plusieurs reprises, le pouvoir soudanais avait utilisé cette relation comme levier diplomatique dans ses tensions avec le Golfe, notamment en autorisant l’accostage de navires de guerre iraniens sur les côtes de la mer Rouge. Mais l’isolement régional croissant et la crise économique ont poussé Khartoum, à partir de 2015, à rompre avec Téhéran et à rejoindre la coalition arabe au Yémen.

Depuis la reprise des hostilités internes au Soudan en avril 2023, le rapport de forces régional s’est reconfiguré. L’autorité dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, confrontée à une guerre prolongée et en quête de soutien militaire extérieur, a réactivé les anciennes connexions avec l’Iran, ouvrant la voie à une reprise rapide des relations diplomatiques. Cette reconnection s’est matérialisée par une aide militaire directe, notamment en matière d’armement et de drones.

Dans ce contexte, deux scénarios préoccupants se dessinent : l’Iran pourrait-elle utiliser le territoire ou les eaux soudanaises comme point d’appui stratégique dans son bras de fer avec Israël ? Et à l’inverse, Tel-Aviv pourrait-elle considérer Khartoum comme une menace militaire indirecte à neutraliser ?

À mesure que les lignes de fracture régionales se creusent, le Soudan apparaît comme une pièce vulnérable sur l’échiquier géopolitique. L’interconnexion croissante entre sa guerre interne et le conflit irano-israélien pourrait précipiter son basculement dans un conflit qui le dépasse. Plus le conflit au Moyen-Orient s’intensifie, plus la possibilité que le Soudan se transforme en théâtre d’opérations périphérique devient tangible.

Un pays fracturé, militairement affaibli, isolé diplomatiquement, et désormais potentiellement instrumentalisé dans un affrontement régional : le Soudan semble se diriger vers un engrenage dont il ne contrôle ni les règles ni les conséquences.