La montée silencieuse des groupes armés en Afrique : anatomie d’un continent sous tension
Rédaction : Widad WAHBI
Depuis le début du XXIe siècle, l’Afrique est redevenue l’épicentre d’un cycle de violences armées dont l’intensité ne cesse de croître. Près de 35 conflits armés non étatiques sont aujourd’hui actifs sur le continent, avec des foyers récurrents d’instabilité dans le Sahel, le bassin du lac Tchad, la Corne de l’Afrique, les Grands Lacs et la République centrafricaine. L’émergence et la résilience de ces groupes armés ne relèvent pas du hasard mais elles résultent d’un enchevêtrement complexe de facteurs politiques, économiques, sociaux et géopolitiques profondément enracinés dans l’histoire postcoloniale du continent.
La fragilité des États constitue l’un des terreaux les plus propices à l’essor de ces groupes. Dans nombre de pays, l’État central peine à assurer sa souveraineté au-delà des capitales, abandonnant des pans entiers du territoire à l’insécurité, à l’absence de services publics et à une gouvernance corrompue. Ce vide institutionnel est souvent comblé par des groupes armés qui s’imposent comme pourvoyeurs d’ordre, de justice ou de protection. De la désintégration de la Libye à l’effondrement institutionnel du Mali, en passant par la prolifération des milices en Centrafrique et à l’est de la RDC, les exemples abondent où le chaos étatique a ouvert la voie à des insurrections durables.
À cette faillite politique s’ajoute une vulnérabilité économique structurelle. Dans des régions frappées par une pauvreté extrême, un chômage massif et une absence totale de perspectives, les groupes armés apparaissent parfois comme les seuls pourvoyeurs de revenus. Une étude du PNUD montre d’ailleurs que, loin de toute motivation idéologique, nombre des autorités s’engagent dans ces mouvements par pur besoin de survie. Dans certaines zones, les milices prennent la place de l’État, non seulement en offrant un salaire, mais en assurant une forme de stabilité parallèle.
Les ressources naturelles exacerbent ce tableau. Or, coltan, bois précieux ou ivoire deviennent autant de monnaies d’échange pour financer les conflits. Dans le Sahel, les groupes jihadistes tirent parti de l’orpaillage illégal et imposent des systèmes de taxation. Là où l’économie formelle échoue, l’économie de guerre s’impose.
Mais l’aspect économique ne saurait occulter les dynamiques identitaires. De nombreux conflits trouvent leurs racines dans des clivages ethniques, religieux ou régionaux profonds. Au Nigeria, Boko Haram capitalise sur le ressentiment du nord musulman vis-à-vis d’un sud chrétien perçu comme plus favorisé. En Centrafrique, la domination passagère de la coalition Séléka à majorité musulmane a déclenché une réaction violente de milices chrétiennes. En Somalie, les frustrations de clans marginalisés alimentent le recrutement au sein d’Al-Shabaab. Partout, le sentiment d’injustice, de marginalisation ou d’humiliation est instrumentalisé comme catalyseur de violence.
Les violations des droits humains commises par les forces de sécurité nationales ne font qu’aggraver la situation. De nombreux ex-combattants expliquent leur engagement dans des groupes armés comme une réponse à des abus policiers, à la brutalité des détentions ou à des massacres perpétrés contre leur communauté. Dans ce contexte, l’idéologie religieuse ou politique sert moins de moteur initial que de justification a posteriori à un engagement souvent dicté par la peur, la vengeance ou le désespoir.
Les trajectoires des groupes armés emblématiques confirment ces constats. Boko Haram, Al-Shabaab, l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA), ou les coalitions djihadistes du Sahel – toutes puisent leur légitimité dans un tissu de frustrations locales, de fractures étatiques et d’opportunités militaires. Qu’il s’agisse de la guerre asymétrique menée par Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, de l’insurrection persistante d’Al-Shabaab dans une Somalie fragmentée, ou de la barbarie mystique de la LRA en Ouganda et en Centrafrique, ces groupes prospèrent dans les interstices d’États absents et de sociétés blessées.
Le phénomène dépasse désormais les frontières nationales. Les conflits africains s’inscrivent dans une géopolitique globale où s’entrelacent interventions étrangères, rivalités d’influence et effets collatéraux de crises mondiales. L’effondrement de la Libye post-Kadhafi a inondé la région en armes. Les campagnes militaires post-11 septembre ont déplacé le front antiterroriste vers le Sahel. La présence croissante de puissances comme la Russie, via le groupe Wagner, ou les opérations militaires de la France, des États-Unis et des forces onusiennes ont redessiné les lignes de front tout en suscitant polémiques et ressentiments. Les logiques de prédation économique, les accusations de néocolonialisme, et les violations répétées des droits humains par certaines de ces forces nourrissent de nouveaux cycles de radicalisation.
Face à cette complexité, les réponses purement sécuritaires ont montré leurs limites. Réprimer sans réformer revient à alimenter le feu sous couvert d’éteindre l’incendie. Seule une stratégie globale, ancrée dans la justice sociale, la réforme de l’État, le développement inclusif et la coopération régionale, pourra espérer contenir, sinon inverser, la spirale de la violence armée en Afrique. Car tant que perdureront les inégalités, les abus et l’impunité, les groupes armés auront toujours un discours à vendre et des recrues à convaincre.
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