Érythrée : trente-deux ans de pouvoir sans élection pour Isaias Afwerki

Rédaction: Widad WAHBI

Trente-deux ans après l’indépendance de l’Érythrée, le président Isaias Afwerki demeure à la tête du pays, sans jamais avoir été confronté à une élection présidentielle. Ce chef historique de la lutte d’indépendance, salué dans les années 1990 comme un dirigeant africain réformateur, continue de gouverner sans Constitution en vigueur, sans gouvernement formel, et sans institutions indépendantes.

À 79 ans, Isaias Afwerki réside aujourd’hui à Adi Hallo, à vingt kilomètres d’Asmara. Depuis plusieurs années, le gouvernement ne se réunit plus officiellement et les principales décisions sont prises directement depuis son cabinet présidentiel. Plusieurs ministères sont vacants ou dirigés par des responsables symboliques, sans autorité effective.

L’Érythrée, qui célébrait en 1993 son indépendance acquise après une guerre prolongée contre l’Éthiopie, avait entamé la rédaction d’une Constitution démocratique, ratifiée en 1997. À l’époque, le président affirmait vouloir bâtir un système pluraliste, fondé sur la justice sociale et l’État de droit. Mais aucune élection n’a eu lieu depuis. En 2001, des voix internes, notamment le groupe G-15 composé d’anciens ministres et proches du pouvoir, ont appelé à la mise en œuvre de la Constitution. La réponse fut une vague d’arrestations. Plusieurs membres de ce groupe ont disparu, les médias indépendants ont été fermés, et le débat public réduit au silence.

Depuis, la vie politique du pays est suspendue. Le Front populaire pour la démocratie et la justice (PFDJ), seul parti autorisé, est présenté comme une extension de l’État. Isaias Afwerki lui-même a déclaré que le multipartisme était « inutile » et que la démocratie représentait « un gâchis ».

Sur le plan économique, le pays fait face à de nombreuses difficultés : infrastructures insuffisantes, faible développement industriel, domination de l’État sur les échanges, et dépendance à une économie de subsistance, selon la Banque mondiale. Le président affirme refuser l’aide internationale, invoquant une volonté d’« autosuffisance », mais les effets de cette politique se font sentir sur la qualité de vie de la population.

Le service militaire à durée indéterminée, justifié par des tensions régionales persistantes, affecte fortement la jeunesse érythréenne. Beaucoup cherchent à fuir le pays, souvent au péril de leur vie. L’Érythrée figure aujourd’hui parmi les principaux pays d’origine des demandeurs d’asile en Europe. Au Royaume-Uni, les Érythréens forment la troisième nationalité la plus représentée parmi les réfugiés.

Malgré cette situation, le président conserve une base de soutien, notamment au sein de l’armée et parmi ceux qui continuent de le considérer comme le père de l’indépendance et le garant de la souveraineté nationale. Certains membres de la diaspora soutiennent également cette position, critiquant ce qu’ils perçoivent comme une pression excessive des pays occidentaux.

En mai 2014, Isaias Afwerki avait annoncé la rédaction d’une nouvelle Constitution, mais aucun progrès concret n’a été observé depuis. Les dernières tentatives de réforme, y compris une tentative de coup d’État en 2013, ont échoué.

À l’aube de ses 80 ans, la question de la succession reste ouverte, sans plan officiel ni opposition visible sur la scène politique intérieure. Beaucoup d’Érythréens, y compris d’anciens proches exilés, affirment que l’absence de structures démocratiques empêche toute transition organisée.

Pour l’instant, le pays continue d’avancer dans l’incertitude, suspendu entre un passé glorieux et un avenir indéfini. Dans ses apparitions publiques récentes, Isaias Afwerki ne fait aucune mention d’élections, de Constitution ou de libération des prisonniers politiques. Le statu quo semble se prolonger.

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