Sahel : sur des routes minées par la violence, chaque trajet peut être le dernier

Rédaction : Aminata Diallo

Dans le centre du Mali, la nationale 15 serpente depuis la ville de Sévaré jusqu’à la frontière burkinabè. Jadis connue sous le nom de « route du poisson », pour son rôle essentiel dans l’acheminement des produits de pêche vers le sud, cette voie est aujourd’hui marquée par la peur. Mines artisanales, embuscades et enlèvements s’y multiplient. En mars dernier, un habitant transportant le corps de sa mère y a été brièvement intercepté par des hommes armés à moto, en train de kidnapper des passagers d’un bus. Il a été épargné, mais témoigne avoir croisé des djihadistes lourdement armés et enturbannés.

Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, l’ensemble du réseau routier est sous tension. Des groupes armés affiliés à Al-Qaida ou à l’organisation État islamique contrôlent ou menacent des portions entières de territoire. Selon l’Index mondial du terrorisme, le Sahel est aujourd’hui l’épicentre des violences djihadistes. Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) précise que près de 70 % des événements violents dans la région, et 65 % des décès recensés, se produisent à moins d’un kilomètre d’une route.

Les axes de circulation sont devenus des cibles stratégiques. D’après Olivier Walther, chercheur à l’université de Floride et coauteur de l’étude, les routes sont désormais utilisées comme leviers de contrôle territorial et moyens de pression contre les populations rurales. À Djibo, dans le nord du Burkina Faso, tous les accès routiers sont jugés dangereux en raison des blocus imposés par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaida. La nationale 22, qui relie Djibo à Ouagadougou, est surnommée « l’axe de la mort ». En septembre 2022, plus de 200 camions y ont été incendiés et onze soldats tués.

Au Niger voisin, la situation est tout aussi préoccupante. Le corridor reliant Niamey à Ouagadougou est devenu impraticable, particulièrement dans le sud-ouest du pays. Depuis 2015, au moins 24 chauffeurs ou apprentis ont été tués, et 52 camions détruits. Selon des syndicats de transport, les attaques sont devenues si fréquentes que certaines zones commerciales ne sont plus desservies. Des chauffeurs ont été enlevés, séquestrés plusieurs jours dans la brousse, parfois torturés.

Dans ce contexte, les armées nationales se déplacent presque exclusivement en convois, réduisant leur mobilité et laissant de vastes zones hors de contrôle. L’OCDE recommande de repenser les stratégies de sécurité dans la région, notamment en privilégiant des véhicules légers et maniables, similaires à ceux utilisés par les groupes armés, pour améliorer la réactivité sur le terrain.

Dans le Sahel, la menace ne vient pas seulement des armes mais du moindre déplacement. Sur ces routes, chaque kilomètre franchi est un pari sur la vie.

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