Les mutations de l’organisation État islamique en Afrique selon une lecture occidentale

Rédaction: Emile kagné

L’Afrique de l’Est, nouveau terrain d’expansion

L’annonce de l’arrestation de 82 personnes soupçonnées d’appartenir à l’organisation État islamique par les services de sécurité éthiopiens à la mi-juillet 2025 a remis en lumière l’intensification de l’activité djihadiste en Afrique de l’Est. Bien que le Sahel concentre l’attention sécuritaire internationale, l’Afrique de l’Est est devenue à son tour un foyer d’implantation de cellules actives du groupe, dont les ramifications s’étendent aux pays voisins, exacerbant les risques pour la stabilité régionale.

Déplacement stratégique vers l’Afrique

Face aux revers militaires subis au Levant, l’organisation a recentré ses efforts vers des zones géographiquement éloignées de ses bastions historiques. Un rapport du Centre international de lutte contre le terrorisme (basé à La Haye) souligne que depuis 2019, l’EI s’est profondément réorganisé : la structure hiérarchique a laissé place à un réseau décentralisé de filiales régionales opérant de manière autonome. Ce modèle permet au groupe de maintenir sa résilience et d’assurer sa pérennité à travers le continent. Dans cette logique, l’Afrique s’est imposée comme un axe prioritaire, une tendance confirmée par le directeur du Centre national antiterroriste américain, Brett Holmgren, qui prévient que « la menace de l’EI en Afrique pourrait devenir l’un des périls les plus durables pour les intérêts américains».

Des bastions locaux en expansion

En Somalie : une implantation stratégique

La Somalie illustre parfaitement cette dynamique. Selon l’analyste Mustafa Hassan, spécialiste des questions de sécurité, le pays cumule les facteurs d’attractivité : faiblesse institutionnelle, divisions tribales enracinées et situation géographique clé. L’EI somalien, né en 2015 d’une scission avec les Shebab affiliés à Al-Qaïda, est officiellement reconnu par l’organisation mère depuis 2018. Actif principalement dans la région montagneuse de Bari, ce groupe compterait entre 700 et 1 500 combattants. Il s’appuie sur un réseau de chefs influents, comme Abdulqadir Mumin (fondateur), Abdirahman Faahiye Issa (opérations) ou encore Abdulwali Yusuf (finances), tous fichés par les autorités américaines.

RDC : un relais transfrontalier

En République démocratique du Congo, l’EI s’est développé à partir des Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe rebelle ougandais replié à l’est du pays. En 2019, l’EI central reconnaît officiellement ce groupe comme sa branche congolaise, dirigée par Musa Baluku. Implanté dans les provinces du Kivu et d’Ituri, ce groupe mène également des incursions en Ouganda. Il compterait entre 500 et 1 500 membres, selon les renseignements américains, avec des recrues issues du Burundi, de la Tanzanie, du Kenya et de la Somalie.

Mozambique : le bastion méridional

Au nord du Mozambique, la branche locale – connue sous le nom d’« Ansar al-Sunna » – a émergé en 2017 et s’est radicalisée jusqu’à être reconnue comme « province indépendante » par l’EI en 2022. Présente dans la province de Cabo Delgado, cette faction a vu ses effectifs passer de 2 500 en 2020 à environ 300 aujourd’hui, du fait de la pression militaire. Elle recrute principalement au sein des communautés marginalisées, notamment les jeunes des groupes ethniques Mwane et Makua.

Recrutement, finances et défis régionaux

Tactiques de recrutement et hybridation

Les filiales est-africaines du groupe adoptent des stratégies de recrutement adaptées : au Mozambique, elles exploitent les frustrations sociales et ethniques, tandis qu’en Somalie, le discours s’articule autour de l’« hijra » (migration), du soutien logistique et de l’ancrage local. L’EI mise sur l’intégration dans les groupes rebelles préexistants, la perméabilité des frontières, et l’implantation dans les zones faiblement gouvernées.

Un réseau économique décentralisé

Le financement de ces groupes repose sur des sources locales. En Somalie, la branche génère des millions de dollars chaque année – jusqu’à 6 millions en 2022 – grâce à l’extorsion et aux taxes imposées aux entreprises. Elle agit comme un hub logistique pour d’autres branches africaines. En RDC, l’exploitation artisanale de l’or et la taxation des contrebandiers assurent une manne précieuse. Le recours aux cryptomonnaies se développe pour contourner les sanctions.

Menace sécuritaire et instabilité politique

Les ramifications de cette expansion sont multiples. Le territoire d’action de l’EI en RDC s’est étendu de 210 % entre 2020 et 2022. En Éthiopie, des cellules formées en Somalie ont été démantelées après avoir infiltré plusieurs régions. À un niveau plus profond, ces groupes sapent l’autorité des États, favorisent des systèmes parallèles, et érodent la légitimité gouvernementale, compromettant durablement la stabilité régionale.

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