Quand les tribunaux africains défient les géants du numérique : vers une ère de responsabilité des plateformes

Rédaction : Widad WAHBI

Un jugement inédit rendu en avril 2025 par la Cour des droits humains du Kenya pourrait marquer un tournant dans la régulation des grandes plateformes numériques. La juridiction a affirmé sa compétence pour examiner une affaire visant Meta, maison-mère de Facebook, au sujet de contenus violents et haineux diffusés sur son réseau.

L’affaire a été introduite en 2022 par Abraham Meareg, fils d’un universitaire éthiopien assassiné après avoir été menacé en ligne, par l’activiste Fisseha Tekle, également victime de harcèlement sur Facebook, ainsi que par le Katiba Institute, une ONG kényane de défense du constitutionnalisme. Les plaignants soutiennent que les choix algorithmiques et les décisions de modération prises par Meta au Kenya ont contribué à alimenter le conflit en Éthiopie, provoquant des atteintes graves aux droits humains.

Selon la Constitution kényane, les discours de haine, les appels à la violence ou encore la propagande de guerre ne relèvent pas de la liberté d’expression. En confirmant sa compétence, le juge a estimé qu’un tribunal kényan pouvait juger des actes ou omissions de Meta dès lors qu’ils ont un impact sur les droits humains, au Kenya comme au-delà de ses frontières.

Ce jugement ouvre une brèche : la responsabilité des plateformes pourrait désormais être appréciée à l’aune d’une seule question – leurs décisions respectent-elles et protègent-elles les droits humains ?

Jusqu’ici, les grandes entreprises numériques s’abritaient derrière des régimes juridiques protecteurs, comme l’immunité garantie par la Section 230 du Communications Decency Act aux États-Unis, ou encore les principes de non-responsabilité en vigueur dans l’Union européenne. Ces dispositifs avaient permis à Meta d’échapper à plusieurs poursuites, notamment intentées par des réfugiés rohingyas aux États-Unis.

Mais les tribunaux africains semblent amorcer une inflexion. Pour les juges kényans, la primauté de la Constitution et de la Charte des droits fondamentaux implique que la recherche du profit par les plateformes ne peut se faire au détriment de la dignité et de la sécurité des personnes.

Cette décision ravive l’espoir pour les victimes de contenus toxiques dans des régions souvent délaissées par les grandes entreprises technologiques. Elle traduit également une évolution : les réseaux sociaux, devenus des acteurs majeurs et puissants, ne peuvent plus se prévaloir du statut de « technologies naissantes » justifiant une immunité quasi totale.

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